De L'ITALIE & DU ROYAUME UNI
- Détails
- 20 Déc
- Affichages : 13298
De l’Italie et du Royaume-Uni
PAR JACQUES SAPIR ·
Le référendum italien a donc confirmé que l’Union européenne est aujourd’hui largement remise cause par les électeurs de divers pays. On en avait eu un exemple avec le referendum sur le Brexit, la sortie du Royaume-Uni de l’l’Union européenne en juin dernier. Sur ces deux thèmes, le Brexit et le référendum italien, j’ai réalisé deux émissions sur Radio-Spoutnik : https://fr.sputniknews.com/radio_sapir/
La défaite de Matteo Renzi, ses causes et ses conséquences
Si le référendum a largement polarisé l’attention des médias, c’est en raison de son résultat, un non massif à près de 60% et de la démission du premier ministre Italie M. Mattéo Renzi, qui peut ouvrir une nouvelle période d’instabilité politique en Italie. A travers le résultat du référendum italien, ce sont bien les politiques de l’Union Européenne qui sont remises en cause : baisse des salaires et des prestations sociales et libéralisation du marché du travail. L’Italie traverse en effet depuis de nombreuses années, en fait depuis le début des années 2000, une crise grave. Aujourd’hui, l’Italie est à peu de choses près au niveau qu’elle avait atteint en 2000. Autrement dit, ces seize dernières années n’ont vu aucune croissance. La faible croissance enregistrée de 2000 à 2007 a été entièrement détruite par les années suivantes. Le constat est encore pire si l’on regarde la croissance par habitant. En PIB par tête, l’Italie est aujourd’hui revenue au niveau de 1997, autrement dit à un niveau antérieur à la création de l’euro. Nul ne doute que le discours des pères de l’euro selon lequel ce dernier devait créer spontanément un croissance d’au moins 1% par an y soit pleinement apprécié à sa juste valeur. Une partie de ce phénomène est imputable à la crise financière, bien entendu. Mais une partie seulement. Car, depuis 2010 il est évident que l’Italie affronte des problèmes différents de ceux de la crise financière. On peut le mesurer à l’importante crise bancaire que ce pays connaît, et qui prend d’ailleurs une dimension politique en raison de la compromission de plusieurs proches du Premier-ministre et du gouvernement dans cette crise.
Pour parler de la situation dans ce pays, je recevais ce vendredi 9 décembre Daoud Boughezala, rédacteur en chef de Causeur et Rémi Bourgeot économiste et chercheur associé à l’IRIS. Vous pouvez écouter l’émission en vous connectant à la page de Sputnik-France,
https://fr.sputniknews.com/radio_sapir/201612091029099549-italie-referendum/
La réforme parlementaire qui a été rejetée le dimanche 4 décembre par 60% des citoyens italiens était-elle nécessaire. Les Italiens ont-ils voté contre cette réforme ou contre les élites politiques et Bruxelles? Daoud Boughezala juge que « lorsqu’un référendum est organisé à quelques mois de distance, le peuple a de moins en moins tendance à répondre à la question et de plus en plus tendance à celui qui la pose. » En quoi la crise bancaire italienne depuis le début de l’année a pu avoir une conséquence sur les électeurs italiens et les inciter à dire non? Daoud Boughezala estime que « la question de la paupérisation des classes moyennes touche tout l’Occident avec des incidences politiques évidentes qu’il s’agisse de l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis et du Brexit. » Rémi Bourgeot, quant à lui, considère que « l’Italie est prise d’un côté entre le modèle allemand qui a connu une adaptation forte (baisse des couts salariaux dans les années 2000) et de l’autre côté les pays comme l’Espagne qui s’y sont mis plus tard sous l’effet de la crise. A ça s’ajoute la crise bancaire, qui ne peut qu’aggraver tant qu’il n’y a pas de véritable rebond économique. »
On constate en réalité que l’introduction de la monnaie unique a tué la dynamique de l’économie italienne. La raison de cette situation est, comme dans le cas de la France, l’écart qui s’est créé entre le taux de change virtuel du Deutsch Mark, que l’on peut calculer par l’évolution de la productivité et de l’inflation en Allemagne, et le taux de change virtuel de la Lire. Une étude du Fond Monétaire International montre que le Mark est virtuellement sous-évalué de 15% (au taux de change de l’euro) quand la Lire est, elle, surévaluée de 10%. Les différentes réformes, que ce soit celles mises en œuvre par le gouvernement de Mario Monti, celui d’Enrico Letta ou celles appliquées par l’actuel Premier-ministre, Matteo Renzi, n’ont eu de cesse que d’adapter l’Italie au cadre économique de l’euro. Elles sont donc équivalentes aux mesures que se propose de mettre en œuvre M. François Fillon s’il est élu, ainsi que de la réforme du Code du Travail réalisée par François Hollande et Manuel Valls. Raison de plus pour s’y intéresser.
Quel avenir pour la Royaume-Uni après le « Brexit » ?
Les Britanniques ont, quant à eux, décidé de quitter cette Union Européenne qui décidemment prend eau de toute part lors du référendum de juin 2016 après leur adhésion en 1973. Ils ont donc mis fin par ce vote à 43 ans d’intégration, certes réticente, au projet européen. On annonçait d’immenses catastrophes qui s’abattraient sur le pays en ce cas. Pourtant, une annonce est peut être passée inaperçue : la société qui gère les restaurants MacDonald’s en Europe vient de décider de transférer son siège de Luxembourg, où elle résidait jusqu’à présent, à Londres. Et, ce n’est pas la seule société à se tourner actuellement vers la Grande-Bretagne. La dépréciation de la livre ouvre des opportunités à l’économie britannique, que ce soit dans l’automobile (Jaguar Land Rover) ou l’aéronautique avec BAE Systems mais aussi dans les nouvelles industries, comme le fabricant de puces électroniques ARM Systems, Même la sidérurgie pourrait bénéficier d’aides : Tata Steel avait annoncé fin mars la vente de ses activités au Royaume-Uni, mettant en péril des milliers d’emplois. Finalement, il a déclaré vouloir revoir sa réflexion, et a engagé des négociations avec Thyssenkrupp pour l’éventuelle création d’une co-entreprise. La direction du groupe pharmaceutique GlaxoSmithKline a aussi annoncé mercredi 275 millions de livres de nouveaux investissements dans ses sites de production en Grande-Bretagne.
Comme c’est étrange, comme c’est bizarre….Vous avez dit bizarre ? Bizarrement étrange, étrangement bizarre… Bizarre, bizarre mon cher cousin…
Non, on ne rejouera pas ici Drôle de Drame, le film de Marcel Carné datant de 1937, et dont le scénario et les dialogues avaient été écrits par Jacques Prévert. Mais le savoureux échange entre Louis Jouvet et Michel Simon apparaît ici plus qu’approprié[1]. Car, que n’avait-on annoncé comme catastrophes devant survenir sur ces fous de britanniques qui avaient choisi de tourner le dos à l’Union européenne…Mais, il y avait à l’évidence une logique dans ce que l’on prenait pour une folie.
Quelle sera donc la politique du Royaume-Uni les années à venir ? Le Royaume-Uni va-t-il s’orienter vers une forme d’isolationnisme ou vers un rapprochement avec les Etats-Unis ? Tel est l’objet de la discussion que j’ai eu avec Philippe Moreau-Defarges, ancien diplomate et chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Vous pouvez retrouver cette discussion ici :
https://fr.sputniknews.com/radio_sapir/201612091029099834-brexit-consequences/
« L’avenir du Royaume-Uni peut être hors de l’Union Européenne, il ne peut pas être hors de l’Europe. » C’est donc ainsi que Philippe Moreau-Defarges juge la Grande-Bretagne post-Brexit. Il constate en revanche qu’il reste des incertitudes « quelle va être la relation entre les Etats-Unis du président Trump et le Royaume-Uni de Theresa May? Personne n’en sait trop rien. » Et sur la remise en cause de la construction européenne: « C’est vrai qu’il y a des crises très difficiles mais pour le moment les peuples et les gouvernements peuvent se dire que ce n’est peut-être pas une mauvaise idée que de sauver ce projet quitte à le rénover. » Theresa May se dirige-t-elle vers un Brexit « dur » ou « doux »? L’ancien diplomate considère pour le moment que le premier ministre britannique « est dans une logique de Brexit dur parce qu’elle a besoin de montrer à son peuple que l’abandon de l’Union Européenne est acquis, elle a besoin de montrer à son peuple une espèce de volonté de récupérer la souveraineté nationale. Cela dit, l’intérêt aussi bien du Royaume-Uni que de l’Union Européenne, c’est un Brexit doux parce que les interdépendances entre les Iles Britanniques et le continent européen sont considérable.
[1] Que l’on peut retrouver ici : https://www.youtube.com/watch?v=ZDce7Kl_LDo